THOMAS HIRSCHHORN
LETTRE À STEPHEN
2001
Paris, 10.10.2000
Cher Stephen,
Je t'écris au sujet de notre conversation à Londres sur Public Works – The Bridge de la semaine dernière. Plus exactement du fait que j'ai dû régler un problème de sécurité qui m'a été posé par la Whitechapel Art Gallery. Je t'avais dit que j'ai pu régler le problème, je ne t'avais pas dit comment et tu m'avais demandé “Did you pay?”, sur quoi j'avais dit non. En effet, je n'avais pas payé, mais la solution trouvée était quand même une solution financière : je n'avais pas payé, j'étais d'accord pour ne pas être payé ou plutôt : être payé moins que prévu. Je t'écris tout cela pour à la fois clarifier mes propos mais aussi, je t'écris cela pour l'écrire, pour le noter, pour ne pas l'évacuer, car en effet je pense que le problème posé était un problème artistique : Anthony Spira de la Whitechapel Art Gallery m'avait averti que le responsable pour la sécurité avait ordonné la fermeture de Public Works – The Bridge car les normes pour la sécurité contre le feu n'étaient pas respectées. Pour l'ouvrir, il n'y avait que deux possibilités. Soit changer le scotch ruban adhésif utilisé et le remplacer par un autre adhésif plus résistant au feu, soit mettre à côté du travail une personne qui surveillait le travail tout le temps. Pour ne pas laisser fermé The Bridge tout le temps, la Whitechapel Art Gallery avait donc embauché une personne pour 3 heures par jour, de 14h à 17h. Pour la solution du remplacement du ruban-adhésif, Anthony m'avait montré un échantillon du scotch, car je suis allé aussi pour cela à Londres ce jour, pour voir ce scotch de remplacement proposé. Ce scotch n'était évidemment pas de la même couleur, ni texture, ni brillance que le mien utilisé pour couvrir toute la structure intérieure de The Bridge. Je savais tout de suite que ce n'était pas possible de changer de scotch car j'avais justement, au lieu de choisir un ruban adhésif, une couleur, une texture, pris la décision de ne pas choisir, car le scotch utilisé était celui que tout le monde utilise partout pour faire ses paquets, pour réparer une vitre cassée, pour emballer tout et pour fixer n'importe quoi. Donc ce scotch était justement, à cause du non-choix que j'avais fait, irremplaçable. Je suis donc allé au Freedom Bookshop et j'ai parlé avec les deux, trois personnes présentes pour savoir est-ce qu'ils comprennent le problème du scotch, que j'avais moi. Ils ne le comprirent pas, par contre ils souhaitaient vivement que The Bridge soit ouvert toute la journée, c'est-à-dire 6 heures les jours normaux et 9 heures le jour de fermeture plus tard. D'autant qu'ils étaient, eux, présents et se sentent vraiment impliqués dans ce projet. J'ai donc compris que c'était très important de tout faire pour ouvrir The Bridge tout le temps qu'il restait jusqu'à la fin de l'exposition (encore 33 jours d'ouverture). J'ai aussi vu que la question du scotch ne concerne que moi, je veux dire l'artiste. La Whitechapel Art Gallery, disait Anthony, ne voulait pas payer plus d'heures de surveillance que ce qu'elle faisait (3 heures par jour), ce qui je crois arrangeait bien aussi le tenant de la cafétéria qui ne se battait pas pour que The Bridge soit ouvert. Au vu de ces éléments, j'ai décidé que les heures d'ouverture seront payées en diminuant la somme d'honoraires qui m'était promise. Je ne pense pas que c'est une bonne solution. Mais je pense que c'est une solution qui résulte de la particularité de ce travail. (Whitechapel aurait dû soit régler les questions de sécurité avant, soit payer). J'ai accepté leur refus de payer, à cause du fait qu'il n'y avait pas seulement une décision à prendre et à être responsable vis-à-vis de l'Art Gallery et vis-à-vis de l'artiste (moi). Mais aussi vis-à-vis du Freedom Bookshop. Et peut-être surtout vis-à-vis d'eux. Je peux dire que dans le cas de The Bridge, la responsabilité envers eux et le respect envers eux m'ont semblé de toute évidence primordiaux. Et la décision que j'avais prise, même si elle reste incongrue par rapport à une relation connue artiste-exposant, est une décision terriblement RÉALISTE ! Peut-être là-dedans réside sa part d'utopie.
Amicalement, à bientôt,
Thomas