SAVERIO LUCARIELLO
...DE L'ÉCONOMIE, ...DE L'EFFET CUL SERRÉ, ...DE L'ÉCONOMIE MAGIQUE ET DE LA DISPARITION
2001
Certainement, l'économie et la politique sont quelque chose de statique et de passif.
La flexibilité, l'inattendu, l'incohérence ne font pas partie du discours politique économique qui par sa logique tend à la conservation et la momification de l'agir humain. Les manières pour se manifester, de l'économie et de la politique, sont toujours les mêmes depuis des lustres : gestion d'énergie, articulation des rôles, répartition, classifications, accumulation des matières, stratégies, etc. Toutes sont des techniques de faire qui sont devenues des comportements, et qui sont d'un ennui terrible. Ennui dû à leur aspect systématique et à la seule ambition de l'accumulation des “choses”. L'économie et la politique se fondent sur des formes d'un rationalisme et d'un scientisme qui, paranoïaques de la bonne répartition et de la peur de la perte, se réjouissent et se frénétisent dans le plaisir de la prévision et de la catalogation présomptueuse des énergies, pour pouvoir garder sûres les denrées qui arriveront à satisfaire la boulimie de leurs caisses. Je ne connais pas trop la sensation féroce d’utiliser les comportements d'un économe.
“Non, je ne pense pas pouvoir donner suite à votre appel…”, “laissez un message, vous aurez une réponse”… Et voilà c'est comme pour un répondeur automatique, l'économie pose son message parce qu'elle calcule les réponses futures. L'économie se met en activité par des calculs, elle a la politique dans la poche, elle se fait ses plans.
… Et voilà l’ennui, voilà la légère et nauséeuse sensation de vivre dans une kitscherie chronique et quotidienne parce que tout ce qui vient est déjà attendu, la répétition et le convenu des événements n’excitent plus et tristement on essaie de se contenter de la vulgarité routinière et bien propre de nos relations d'intérêts temporaires.
Voilà les stratégies-tragédies de l’économie qui préparent les cultivations.
Et nous sommes clairement immergés dans les propositions – actions spectaculaires de l'esprit fructueux – et des fruits lourds et mous nous tombent autour et embouent les chemins.
L'économie, et l'esprit qui va avec, ont réussi dans leur but. Si bien réussi que même les franges créatives de ce social se mettent à l'imiter, elles s'en mêlent et planifient leurs potagers esthétiques.
La poésie dans toute cette petite autosatisfaction – auto-illusion du bon rendu-bon répondu – radote, clonise et invente sans inventer, parce qu'elle est inconsciemment abrutie par le sens de l’imitation.
Et les entreprises d’artistes se sont mises en route, elles ont inauguré leurs enseignes. L'émancipation commence à prendre la tête, l’artiste s’invente ses problèmes de rendement. L'école sociale lui demande beaucoup… et des choses précises, et il respecte sans grognonner-cochonner les demandes qui attendent pour vérifier l'hypocrisie de ses rendus, et valider le convenu des significations.
Et comme ça, nous, toujours dans la même époque, toujours envahis par le même esprit : l'esprit des suiveurs. Et l'artiste suit les exemples, fait des significations à la commande. Parfois il est critique et il fait le burlesque… il dénonce, mais malheureusement tout ce qu'il dit est vite lu, et le déchiffrement soudain devient le critère stupide de l'évaluation et de la mise en valeur. Et c'est ainsi que toutes les soupes de l'idéologie scolastique, qui caractérisent les départements du pouvoir décisionnel et institutionnel de l'art, trouvent elles aussi leur compte et peuvent tranquillement accroître la patouille dans laquelle les dirigeants continue-ront à se masturber sur la confirmation, par les “œuvres”, de leurs connaissances universitaires.
Tout le monde est content, chacun voit que les choses se font dans la bonne pédagogie, et… via ! Les étendards de cette histoire immobile sont levés. L'efficacité de l'artiste se mesure dans sa capacité à faire des comptes-rendus qui enjolivent et si possible imbizzarrent les questions sociales, politiques et économiques de toute cette attitude qui est liée à une histoire monotone dans ses propos, dans ses manifestations, dans ses commémorations.
Et l'art se met donc à répondre avec des bons résumés. L'artiste entrepreneur présente ses résumés et, comme un bon élève, il écrase son petit
scandale entre les fesses (il a le cul serré, et ça se voit dans son travail). Il économise sa démarche, il montre que son attitude à créer est bien nourrie de tout le savoir qu'il faut, et il agit sans gaspillage symbolique.
Tous ses signes parlent, farcent et dansent sur les thèmes de ce réel qui développe toujours les mêmes intérêts de discriminations, de castes et nivaux sociaux qui surtout ne doivent pas bouger.
L'artiste entrepreneur et politique, alors, apporte ses objets pour la glorification des fondements de ce système, et il est le bon pédagogue qui va lustrer les fonctionnements.
Parfois il crie, il se rebelle un peu. C’est parce qu'il attend sa dose de chantilly. On doit lui donner de la crème, mais heureusement il garde toujours son scandale entre les fesses. Ce sont ses papiers secrets, qui dans l’ombre moite de la raie, gardent les plans de son mystère et de ses probables nouveautés.
Mais peut être, qui sait, moi aussi je demande de plus en plus de crème. J’ai beaucoup de trucs conceptuels à farcir.
Et dans l'attente, je collabore à l'économie officielle en participant à une exposition dont le titre n’est pas très loin de tout ça : Political Ecology – Five Artists From France, qui a eu lieu à la galerie White Box de New York, soutenue par quelque invisible et incompréhensible appareil de la culture officielle et de la French Embassy de New York qui ont fait beaucoup d'économie de leur visibilité. Les transports des œuvres étaient même prévus dans une telle transparence que moi et un ami artiste, lui aussi présent dans cette exposition, n'ayant pas trop la tendance à faire des œuvres sur les concepts d'invisibilité, nous avons nous-mêmes (in extremis) pris nos œuvres sous les bras et transportées à New York, avec comme résultat de voir les œuvres de cet ami abîmées, le master d’une vidéo clairement disparu, et des œuvres qui sont encore dans cette galerie new yorkaise et qui sont en train d'atteindre leur degré de sublimation optimale pour devenir transparentes et disparaître elles aussi.
Malgré toute cette légèreté, on a pu quand même remarquer les ineffables têtes de vitrine des représentants de la culture avant-gardiste officielle, qui dans leur classique incrédulité, n'ont pas fait trop d’économie de leur grassouillette mondanité, en se défoulant, pour quelques moments, dans les soirées galantes et à la mode, avec leur look convenu de rouleaux de printemps en vacances. Pour quelques moments finalement libérés des canons administratifs de post-universitaires d'état, donnant libre expression à toute leur puérilité, ils ont vécu aussi l'excitation (pour certains) de chanter en karaoké… et entre-temps la galerie de New York fait ses économies et collectionne des œuvres d'“artistes français” gratuitement.