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NATHALIE QUINTANE
COMMENT STÉPHANE BÉRARD CRÉA L'ARÔME PÉNIS POUR PRÉSERVATIF
2001

 

 


 

Le matin couché dans le noir les idées viennent.

 

Un parfum plaque toujours une odeur sur une odeur préexistante.

 

Un parfum naturel peut imiter un autre parfum naturel.

 

Un parfum artificiel peut imiter un parfum naturel.

 

- Ne confondez pas : un arôme s’ingère mais un parfum ne s’ingère pas,

 

lui dit un parfumeur

 

niçois, au téléphone.

 

 

Il faut qu’il puisse communiquer cette idée sans être compris :

 

l’idée de cette idée.

 

- Oui mais si vous ne nous donnez pas votre idée, comment voulez-vous qu’on sache ce que vous avez
en tête ?

 

lui dit cet aromaticien indien

 

rencontré à Nice
(un employé taillait des pierres précieuses dans l’ombre
de l’arrière-boutique)

 

- Il est hors de question que je vous donne mon idée.

 

D’ailleurs elle est brevetée

 

?

 

- Les idées ne se protègent pas
les nouveaux assemblages moléculaires, oui
mais pas les idées.

 

 

Les docteurs Sabatier et Mabrouk chercheurs au C.N.R.S

 

à Marseille l’avaient recommandé auprès de Bonabes de Rouge et Michel

 

Mollard, férus en droit international, et qui s’occupaient habituellement

 

de protéger leurs brevets :

 

- Ne donnez surtout pas l’idée à tout bout de champ

 

en particulier si vous avez affaire avec un fabricant en

 

Asie ; le fabricant vous signe un accord de

 

confidentialité

 

et passe l’idée à son beau-frère.

 

 

D’ailleurs elle est brevetée :

 

je suis allé à Sofia Antipolis (antenne INPI)

 

consulter les brevets déposés concernant les préservatifs

 

ou la prévention en général.

 

Aucun arôme pénis pour préservatif n’est répertorié.

 

 

Par téléphone, il cherche longtemps un aromaticien

 

ayant suffisamment d’ouverture d’esprit pour comprendre

 

qu’il ne peut pas lui donner son idée puisqu’elle est déposée

 

mais qu’il cherche une odeur proche de celle de la coriandre

 

proche de celle du crustacé proche de celle du cumin

 

une odeur naturelle à produire artificiellement.

 

Au dernier moment, le fabricant indien se souvient

 

d’un aromaticien de Mougins, spécialiste en arômes originaux

 

qui ne peut le recevoir que le lendemain.

 

(Il dort avec sa femme chez leur ami poète Pierre Le Pillouër et sa femme Lella à Antibes)

 

Sylvain Lavoilotte, directeur de la société Solubarôme,

 

semble avoir une grande ouverture d’esprit

 

il lui montre son catalogue

 

Sylvain Lavoilotte, son oncle, et ses employés

 

produisent des arômes de toutes sortes

 

du crustacé au parfum de pain chaud qu’on croit sorti du four

 

et qu’on répand dans les boulangeries artisanales

 

Sylvain signe un accord de confidentialité

 

et le travail commence.

 

L’échantillon P.O1

 

a une odeur de langouste trop prononcée.

 

L’échantillon P.O2 n’est pas hydrosoluble.

 

L’échantillon P.O3 convient –

 

c’est un liquide jaune pâle contenu dans un petit flacon rond.

 

 

Au C.N.R.S., à Marseille,

 

au laboratoire d’ingénierie des protéines,

 

les docteurs Mabrouk et Sabatier

 

toujours aussi disponibles

 

malgré leurs longues journées

 

font une étude spectrographique de masse du P.O3

 

c’est-à-dire sa signature chimique
(j’ai pris quelques photos du docteur Sabatier et de moi-même près de la
petite machine en plusieurs machines
qu’il venait de recevoir et qu’il était tout heureux d’utiliser)

 

des graphiques sont tirés :

 

un matériel prêt à être exposé.

 

Tout heureux, il propose la pièce

 

en commission d’achat au F.N.A.C.

 

(Fonds National d’Art Contemporain)

 

qui ne l’achète pas.

 

 

Trois ans plus tard

 

et comme la pièce n’a pas été montrée

 

(souvent par téléphone il essaya de convaincre des fabricants de

 

préservatifs un président d’entreprises gays un directeur de cabinet

 

du Ministère de la Santé de s’associer à son idée afin de couper court

 

aux préservatifs banane pomme fraise

 

au dégoût des utilisateurs

 

à la propagation de l’épidémie)

 

il envoie à la presse un descriptif du produit

 

+ un visuel

(c'est-à-dire des photos)

 

Nova les publie, l’intérêt pour

 

l’arôme pénis pour préservatif

 

est relancé

 

UR

(qui signifie premier, primitif, proto, en allemand,
ce que tout philosophe sait)

 

se propose de produire

 

fabriqués par Solubarôme

 

deux cent cinquante flacons

 

avec compte-gouttes.

 

 


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TROUBLE 1, 2002

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