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ARNAUD LABELLE-ROJOUX
UNE RÊVERIE ÉCONOMIQUE DE BISTROT
2001


 

 


 

"Pouvons-nous continuer de chanter
pendant que la forêt brûle ?” se demandait
un jour Thoreau. Oui, bien sûr,
nous le pouvons, nous le devrions.
Nous devons continuer de chanter…
tout en essayant d'éteindre le feu.
Le chant pourrait prendre, qui sait ?

Robert Filliou

 

 

C'est vrai, il y a des choses
plus graves que le pet.

Jean-Marie Bigard

 

 

Le règne du CAC 40, la Nouvelle Économie, la désintégration bancaire via le numérique, l'e.Business, les start-up, les diverses figures de la “mondialisation”, tout cela, blablabla, et d'autres mots récents signifiant de vieilles choses repeintes au goût du jour, ne me captivent pas le moins du monde. Pire : me gonflent !… Vraiment, vraiment ? Vraiment, vraiment !… Avec cette précision : tout cela, bien entendu, existe – qui le nierait ? – et de fait me concerne, y compris malgré moi (comme le foot, la météo, les princesses de Monaco, Loft Story), mais je n'ai pas la plus infime fascination pour le contexte économique “bigbrotherisé” dans lequel nous vivons et ses vitrines high tech racoleuses, et n'entends pas céder aux prescriptions du temps… Quoi ? Me taxer, moi, pour cette raison, de ronchonneur encombré de préjugés face aux dernières nouveautés du commerce et de la communication ? Vous plaisantez !… Et ne m'asticotez pas trop ! La ritournelle visant à lyophiliser la pensée au nom du progrès ne date pas d'aujourd'hui, et, si cela doit vous rassurer, je ne m'éclaire pas à la bougie… Mieux : je possède un ordinateur, un fax, une Carte Bleue Visa, une caméra numérique payée à crédit (c'est le minimum, j'en conviens !), comme tout le monde ; ou presque… L'intimidation joue à plein. Elle se fonde sur un prétendu principe de réalité : tous dans le même bocal… Ce à quoi, naturellement, je ne crois pas une seconde !… Quant à l'Eden technologique, son charme est tout à fait discutable, sauf, apparemment, pour les nouveaux “beaufs” éblouis.
Mais soyons sérieux un instant : s'il y a de la méfiance, et il y en a, qui plus est ciblée (en fait, envers l'intégrisme économique dominant qui voudrait nous faire croire sur tous les tons du conditionnement – sans jamais du reste rien prouver – qu'hors le système libéral en place, point de salut), la question n'est évidemment pas réductible à cette méfiance. Il est clair, certes, et je ne le cache pas, que je suis franchement réfractaire à ce qui s'érige en règles globalisantes (le fameux “ordre économique”), que la “morale” intraitable des entreprises me débecte, et que le mimétisme social via la marchandise me paraît consternante (consommer pour ressembler à l'autre : on commence avec les pompes Nike, on finit avec les dessous en Thermolactyl), mais j'aime surtout espérer que l'échappatoire au décervelage économique nappé de sauce techno (car il s'agit de cela) existe tout de même un peu… Où ? Quand ? Comment ?… Il me semble partout, tout le temps, dans les échanges simples, gratuits, prenant les formes du jeu, de la conversation ou de la coupe de champagne, ou bien encore dans les œuvres éveillant en chacun les désirs, la présence active, l'envie de réagir, voire le refus ou le rejet. En un mot, faisant événement…
L'idée, direz-vous, de concevoir l'économie en dehors des questions de production, de marketing et de consommation dévoratrice, n'est évidemment pas tout à fait nouvelle… Fourier, Nietzsche, le groupe surréaliste [Mais oui, bien sûr : le Surréalisme est le premier mouvement artistique – me semble-t-il – à dire clairement sa haine du capitalisme international, sans pour autant prôner une morale libératrice du travail : “Nous sommes certainement des Barbares puisqu'une certaine forme de civilisation nous écœure. Partout où règne la civilisation occidentale, toutes attaches humaines ont cessé à l'exception de celles qui avaient pour raison d'être l'intérêt, “le dur paiement au comptant”. Depuis plus d'un siècle la dignité humaine est ravalée au rang de valeur d'échange (…) Nous n'acceptons pas les lois de l'Économie et de l'échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire.” (“La révolution d'abord et toujours !”, La Révolution surréaliste, n°5, octobre 1925)], Bataille, les Pieds Nickelés, Wilhelm Reich, l'Internationale Situationniste [On pensera peut-être que je fais ici référence à Guy Debord (dont le nom est aujourd'hui aussi inévitable, dans quelque domaine que ce soit, que celui de Sollers à propos de Guy Debord !)… Forcément, mais pas seulement… En réalité je songe même davantage à ce que Raoul Vaneigem écrivait dans le Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, qu'à Guy Debord : “Ce qu'il y avait d'échange dans le don féodal l'emporte dès l'apparition de la monnaie. Le don-sacrifice, le potlatch – ce jeu d'échange et de qui-perd-gagne où l'ampleur du sacrifice accroît le poids du prestige – n'avait guère de place dans une économie de troc rationalisé. Chassé des secteurs dominés par les impératifs économiques, il va se retrouver dans des valeurs telles que l'hospitalité, l'amitié et l'amour, officiellement condamnées à disparaître à mesure que la dictature de l'échange quantifié (la valeur marchande) colonise la vie quotidienne et la transforme en marché.” Vaneigem, qui ajoute : “L'art, cette économie des moments vécus, a été absorbé par le marché des affaires. Les désirs et les rêves travaillent pour le marketing”, ne situe pas son propos dans une perspective révolutionnaire de masse mais dans une prise de conscience individuelle de l'aliénation, celle-ci excluant pour lui, dès les années 1960, l'art, instrumentalisé par l'industrie culturelle.], Fluxus, Robert Filliou, Deleuze et Guattari, les exemples de contre-analyses et de contre-propositions sont multiples [Et sans cesse réactualisées, comme le montrent les manifestations radicales des ONG contre les symboles de la “mondialisation” que sont le Fonds Monétaire International, l'Organisation Mondiale du Commerce, la Banque mondiale, et les gouvernements se pliant à leurs directives lors de réunions au “sommet” résumées par les médias en deux images : une photo de famille imbécile et une forteresse assiégée (lorsqu'il n'y a pas mort d'homme)]. Celles-ci visent à remettre l'individu pensant, désirant, ressentant, agissant, au cœur d'une économie différente, une économie véritablement hédoniste, laquelle me réconcilierait presque avec l'idée de quête du bonheur. Mais un bonheur évidemment dé-standardisé… Bref, l'esthétique n'est pas loin. Ou du moins une certaine esthétique. Qualifions la d'esthétique comportementale, en n'ignorant pas ce que cet adjectif doit au langage de la psychologie aussi bien qu'au langage artistique. En n'ignorant pas non plus que ces langages ont été largement assimilés par la sphère publicitaire. [Ce que constate Naomi Klein (No Logo, la tyrannie des marques, Actes Sud, Leméac, 2000) : “Les agences publicitaires ont toutes finement abandonné l'idée de vendre le produit d'un autre, pour se considérer comme des usines de productions de marques où s'élabore ce qui compte : l'idée, le style de vie, l'attitude.”]

 

Mise au point
L'économie…
Mais que diable suis-je donc allé faire dans cette galère ? Penser, probablement, mais penser, disons, poétiquement [À la façon de Robert Filliou qui parlait sérieusement d'“économie poétique” en proposant, par exemple, que les nations s'échangent leurs monuments aux morts.] Oh ! je le pressens, mon propos essuiera certainement quelques quolibets des contrôleurs théoriques de la spécialité (les omniscients “économistes”, postés au coin de leur intouchable pré-carré), mais que ceux-ci le considèrent comme confus m'importe guère… [L'économie semble avoir remplacé dans les mentalités ce que l'on appelait autrefois “les Affaires” (en anglais : business). Ce qu'en dit ironiquement Léon Bloy dans l'Exégèse des lieux communs paraît assez transposable à la mystique économique new look : “Etre dans les Affaires, c'est être dans l'Absolu. Un homme tout à fait d'affaires est un stylite qui ne descend jamais de sa colonne. Il ne doit avoir de pensées, de sentiments, d'yeux, d'oreilles, de nez, de goût, de tact et d'estomac que pour les Affaires.”] Sans chercher à me justifier (prétérition), je dirais simplement que, n'ayant aucune légitimité à transformer quelque intuition que ce soit en projet (je ne suis ni philosophe, ni militant syndical, ni homme politique), et puisant essentiellement mes références dans le domaine de l'art (autant dire nulle part pour l'économiste), je me situe délibérément sur le terrain très vague et vaste de la création, et me sens de ce fait à peu près inattaquable… À moi le beau rôle, enfin !… Je suis un rêveur du genre incompétent. Pas besoin donc de batailler…
Alors, ce texte ?
Oui, c'est une rêverie [Rêverie : mot très XVIIIe siècle, très Rousseau, parfait. Ici on devrait parler de rêverie de bistrot. La rêverie n'est pas un mode critique à part entière. Elle relève du cheminement. Un cheminement accumulant des objets de réflexion ramassés au petit bonheur la chance]. Une rêverie chaotique sur l'échange. Et sur l'esthétique.

 

Rêver donc, rêver sans doute
On commence par un super rêveur, rêveur mastoc et du genre effrayant : il s'appelle Marx. Karl, oui… Le Marx à grande barbe et au regard torve du célèbre duo Marx/Engels. [“Roux et Combaluzier ; Ledru, Rollin ; Plon et Nourrit. Ils ont découvert l'Ascenseur, le Bonheur ou la Librairie. Beaucoup de grandes choses furent trouvées par deux frères. Aux environs de 1846”, note dans une de ses chroniques Alexandre Vialatte.] Ils ont découvert ensemble le “Communisme”. Autour de 1846 (le Manifeste du parti communiste date très exactement de 1848). L'invention a fait certes pas mal de dégâts (d'où l'effroi : le rêve, pour le coup, a viré au cauchemar), mais, au-delà du désastre communiste (ne me demandez pas cette fois de commenter la chose, j'ai assez à faire comme ça !), le coup d'œil à Marx (avec ou sans son jumeau Engels), comme à une fiche-cuisine, est loin d'être inutile. Voici la citation : “Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître à l'intérieur d'un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l'univers.” Rien de spécialement prophétique, penserez-vous, dans ce point de vue de Marx… La mise en garde est pourtant glaçante contre la naïveté consistant à croire qu'une République universelle fondée sur le libre-échangisme (calmez-vous ! Je ne parle évidemment pas ici des rendez-vous du Bois de Boulogne) à grande échelle cesserait de servir les intérêts de quelques-uns… Tout marché, on le sait, est forcément de dupes dès lors qu'il se fonde sur l'argent1, et, c'est une banalité que de le dire, à l'échelle planétaire, le commerce, quelles que soient les pseudo-règles du jeu qu'il se donne, s'il n'a pas la brutalité rouge hémoglobine des guerres militaires (quand on voit les morts, naturellement), n'est pas moins fondé sur une domination brutale des individus. [Avec le même genre de raisonnements impeccables pour justifier les malheurs engendrés (inégalités, chômage, etc.) : ils feraient partie du système. Inévitables donc. Le prix à payer, en somme, de la “liberté” libérale.]
Alors ?
Alors, pas de pleurnicheries amollissantes. Ou de conversions politiques inconsidérées. Il faut rêver, sans doute. Oui, rêver d'autre chose.
Rêver…
Rêver de fonctionnements individuels désintéressés
Rêver que la vie ne se règle pas sur le Dow Jones et le CAC 40
Rêver que l'abrutissement collectif via les moyens de communication modernes – véritable gouvernement fantôme2– n'est que passager (il n'est de servitude que volontaire)
Rêver d'un monde dans lequel les échanges sociaux et les passions ne se fonderaient pas sur le travail, le lucre et la réussite, mais qui, réduits à leur “principe actif” (comme le disait Paul Valéry de la poésie), prendraient des formes singulières
Rêver que le chétif n'est pas moins essentiel à la société que le costaud aux mâchoires de pitbull roulant de gros biceps
Rêver d'idéaux idiots qui aboliraient – comme si c'était quelque chose d'absolument nouveau – les privilèges des “nantis” (mot, souvenez-vous, qu'il était monnaie courante de brandir au Parti Communiste du temps de la “lutte des classes”)
Rêver que le don peut n'être pas teinté de mauvaise conscience
Rêver que l'art (cette “économie des moments vécus”) puisse participer de ce rêve…
On appelle ça “utopie” ? Oui, si l'on considère tous ces points comme les éléments d'un programme. Mais tel n'est pas le cas. Il s'agit ici, je le redis, d'une rêverie, en faisant naturellement la distinction entre rêverie et illusion. L'inconscient n'est pas l'inconscience, comme disait Dalida. Ou Alain Finkielkraut. Ou Freud, peut-être…

 

Onc'Nono et 'Tit Toto parlent d'utopie
Le jeune Antonin, dit 'Tit Toto, garçonnet précoce assoiffé de savoir, rend visite à son oncle Onc' Nono, artiste dilettante ayant des points de vue sur à peu près tout, et d'abord sur l'Économie depuis qu'il regarde Jean-Pierre Gaillard sur L.C.I.

 

'Tit Toto
Le nez dans son bloc Rhodia, le stylo prêt à écrire
- L'utopie n'existe-t-elle jamais dans le réel ?

 

Onc'Nono
Immédiatement sérieux
- Bien sûr que si, mon lapin des îles… Tiens ! On peut songer à l'action des SEL, par exemple.

 

'Tit Toto
Se tenant les côtes
- Les Selles ?

 

Onc 'Nono
Fermant les yeux, extatique
- Oui, les SEL… SEL pour Systèmes d'Échanges Locaux, créés sur le modèle des LETS nord-américains (Local Exchange Trading Systems). Ils sont 350 en France, déclarés généralement en associations Loi de 1901, et revendiquent aujourd'hui plus de 30 000 membres… Mais on peut penser aussi à l'action de certaines associations d'entraide bénévoles distribuant des couvertures et des repas à peu près chauds aux sans-abris…

 

'Tit Toto
Son museau de souris enquiquineuse pointant finement
- Et dans le domaine de l'art ?

 

Onc'Nono
Se coiffant bizarrement d'un chapeau à plumes de mousquetaire
- Là on est dans un tout autre registre… Aucun pathos… Oui, on pourrait évoquer les artistes prônant la relation directe comme viatique, voire comme substitut de l'œuvre, qui réintroduisent du social, sans pour autant “faire du social”. [À ce moment précis, présent dans la salle, Saverio Lucariello se met à hurler de rire. Arnaud Labelle-Rojoux, assis à ses côtés, lui glisse alors à l'oreille : “Faire du social est en effet un leurre ou une naïveté entretenus par certains artistes cramponnés au fantasme beuysien de “sculpture sociale”, ou par certains collectifs d'artistes se voulant en prise directe avec l'actualité… C'est comme ça, mon vieux… Mais tu as raison : l'art n'a pas pour vocation de se substituer aux relais d'intégration sociale. La dématérialisation de l'objet à laquelle on assiste aujourd'hui, aussi bien dans l'art que dans l'économie, qu'on l'accueille avec crainte, désespoir ou révolte ne saurait trouver son antidote – lorsqu'elle est recherchée – dans un transfert avec le public, mais au contraire dans la mise en crise du système, quitte à se couper du public. De ce point de vue, le philosophe canadien Michaël La Chance, que je viens de rencontrer à Québec, a parfaitement raison de dire : “À l'époque des économies de service, l'art risque de devenir un service, il se trouve bientôt entraîné dans l'évolution ultime de l'économie : vous vendre votre propre vie (…), votre eau, votre air, votre temps, votre jouissance, votre identité, votre intégration sociale…, y compris votre merde.” Cette dernière citation relance le rire de Lucariello…].

 

'Tit Toto
Une ride soucieuse lui faisant remonter sa casquette vissée, la visière sur la nuque, comme un crétin ou un tennisman
- Peut-on, pour autant, parler d'économie expérimentale ?

 

Onc'Nono
En proie à un désarroi visible
- Euuuh…

 

De particulier à particulier
C'est incontestablement dans l'air : la relation de particulier à particulier apparaît comme un acte de résistance douce à la standardisation des comportements. Les SEL relèvent certainement de cette croyance salutaire, à la restriction près qu'elle conforte, en France du moins, et chez certains, un individualisme néo-poujadiste de la débrouille ne remettant guère en cause le système dans son ensemble. Mais toute médaille a son revers, n'est-ce-pas ?… Il n'est guère surprenant du reste que leur origine soit canadienne et qu'ils se développent particulièrement au Québec, là où, par ailleurs, quantité d'expériences artistiques fondées sur une approche socio-économique de l'art ont misé depuis longtemps sur une proximité “citoyenne” plus naturellement ancrée dans les mentalités.
Si le nom SEL sonne curieusement duchampien, le “marchand du sel” n'en est pas, jusqu'à preuve du contraire, un des inspirateurs, quoique l'un de ces Systèmes d'Échanges Locaux se soit baptisé SELAVIE… Leur philosophie altruiste, qu'on pourrait qualifier d'inspiration libertaire (enfin, pour dire vite car, je le répète, elle n'est pas sans ambiguïté) est de toute évidence bien loin des préoccupations pincées de Marcel et même des artistes prônant l'échange, qui, eux, s'en réclament parfois (ce qui n'est pourtant pas une obligation)… Un article récent et favorable de Libération, signé par Caroline Stevan3, en qualifiant les adhérents des SEL d'“échangistes des petits travaux”, situe clairement l'enjeu des SEL et leur limite. L'idée, en effet, de ces Systèmes d'Échanges, au-delà, ou plutôt en-deçà, de la mise en place d'une “alternative économique”, n'est rien d'autre qu'une tentative de valoriser l'échange, essentiellement à partir de la notion de service rendu. On peut, de ce point de vue, parler à leur propos d'une “économie solidaire”… Comment cela fonctionne-t-il ? Libération avance : “Les échanges peuvent s'effectuer entre deux personnes, mais ce n'est pas une obligation, tant que tout le monde donne, prend et s'y retrouve. Des bourses locales d'échanges sont organisées. Chaque membre est doté d'un cahier sur lequel sont notées ses “transactions”, ensuite retransmises au “bureau” gérant l'association. Chacun sait ainsi ce que font les autres, un bon moyen de décourager les profiteurs. De nombreux SEL limitent par ailleurs le débit possible, voire le crédit. D'autres exigent une demande préalable à tout gros échange (en général pour plus de 1000 unités). Certains ont même créé un système obligeant à un certain rythme d'échanges…”4
On le perçoit immédiatement, la notion d'échange, telle qu'elle est posée par les SEL, est problématique, et s'il n'est nullement dans mon intention de les assimiler comme Philippe Val (dans un article vengeur de Charlie Hebdo5) au “terrorisme libéral”, version “poil de chèvre”, j'ai, tout autant que lui, le sentiment que le projet ne tient pas la route de bout en bout. La raison ou les raisons ? Ce “système” repose de toute évidence sur l'existence de populations précarisées, pas sur l'ensemble des catégories sociales (peu de limousines rutilantes s'échangent contre des R 5 déglinguées). Ces populations, malgré toutes les dénégations des responsables des SEL, se trouvent de la sorte encore plus isolées ou à tout le moins mises sous cloche, sans cesser d'être dépendantes de l'économie capitaliste (un chômeur est d'abord une victime économique. Ou plus exactement se vit comme cela, quels que soient les moyens qu'il se donne pour se sortir de cet état. [J'ajoute qu'il est souvent perçu comme une victime normalement “désignée” par le capitalisme : “La force de l'idéologie néo-libérale, c'est qu'elle repose sur une sorte de néo-darwinisme social : ce sont “les meilleurs et les plus brillants”, comme on dit à Harvard, qui triomphent (…). Derrière la vision mondialiste de l'internationale des dominants, il y a une philosophie de la compétence selon laquelle ce sont les plus compétents qui gouvernent, et qui ont du travail, ce qui implique que ceux qui n'ont pas de travail ne sont pas compétents.” (Pierre Bourdieu, Contre-feux, Raisons d'agir, Paris, 1998)]. La révolte, pour “miraculeuse” qu'elle puisse sembler, comprise : la lutte des Invisibles italiens ou du Mouvement des chômeurs français, se situe d'abord sur le terrain du “droit au travail”). Par ailleurs, la monnaie que les SEL s'inventent, ainsi que l'a noté Claude Guillon, “pour être de fantaisie, n'est pas moins une monnaie, donc une représentation – désormais conviviale – de l'abstraction qui mène le monde capitaliste : la valeur.”5 Demeure tout de même l'idée de solidarité et, si la méchante ombre du libéralisme plane, cette foncière “bonne volonté” – malgré une naïveté humanitaire frisant tout de même parfois l'idéal compassionnel poisseux–, est, dans son intention du moins, une manière d'action critique. À voir néanmoins l'absence de réactions notables d'hostilité, ou simplement d'inquiétude, on peut légitimement douter de son efficacité. Jean-Marie Messier ne paraît du reste pas très affolé ; il peut dormir tranquille, c'est certain, la révolution n'est pas pour demain matin…
Selon quel axe, alors, orienter son insoumission aux diktats de l'économie dominante, sans jouer malgré soi le jeu des pouvoirs sociaux en place ? En ne cherchant pas, probablement, à les combattre directement. En ne fouillant pas non plus fébrilement dans le tiroir à slogans politiques pour se rassurer. Pour cela, sans doute, faut-il être dégagé d'un certain nombre de contraintes immédiates, et ne pas s'évertuer à trouver un autre champ d'application que celui de l'art. Car si l'art me semble en effet l'“antidote à tout pouvoir, d'où qu'il émane”6, selon la formule pertinente de Michel Onfray, il ne peut l'être qu'en s'affirmant comme art [“Dada a essayé non pas tant de détruire l'art et la littérature que l'idée qu'on s'en est faite”, disait Tzara. La phrase peut s'appliquer aux mouvements ou aux artistes les plus radicaux.]. Onfray précise qu'il “aspire à l'émergence, la formulation et la pratique d'une esthétique généralisée. Contre l'esthétique particulière, soumise à des impératifs séparés, et bien souvent posée en auxiliaire du pouvoir dominant, elle vise le dépassement des oppositions entre l'art et la vie…” Onfray indique que cette esthétique généralisée (expression empruntée à Roger Caillois) s'enracine dans les mouvements de la fin du XIXe siècle (Zutistes, Incohérents, etc.) qui “transfigurent en art la moquerie à l'endroit de l'art”, pour se prolonger avec tous ceux qui, mettant “haut le rire dans leur œuvre”, mais aussi la provocation, le jeu, l'audace, la révolte, le fugitif, le périssable, se sont attaqués durablement au “vieux monde” où le sérieux domine, opposant au principe de réalité castrateur le principe de plaisir libérateur. Onfray mentionne parmi les membres de cette “famille épanouie dans un archipel de libertés”, les dadaïstes, les futuristes, les surréalistes, les lettristes, les situationnistes, Fluxus… Inutile de souligner que je me situe (sans gloire particulière, ni modestie excessive) dans cette lignée mouvementée, lignée, ou plutôt pot-pourri (comprenant aussi, et plus récemment, Présence Panchounette, Jacques Lizène, Paul McCarthy, Martin Kippenberger, Olivier Blanckart ou Stéphane Bérard, entre autres) que j'ai moi-même assimilé à une attitude esthétique et qualifié d'“art parodic'”7.

 

Vous et moi
Une branche cousine semble – au moins pour une part – trouver sa genèse dans les mêmes contrées spirituelles que l'esthétique généralisée de Michel Onfray (le dandysme, Duchamp…) : la nébuleuse “relationnelle”. Celle-ci, déplaçant la création artistique du champ de la stricte marchandise vers celui du comportement, propose des moments directement vécus, principalement sur le mode interactif, comme matière même de l'œuvre. [Je me suis mis dans le crâne de vouloir rêver : je ne rêve guère et ne fait guère rêver. Je ne parle peut-être pas assez de gros sous… La question de la marchandise pourrait être une occasion à cela. Las ! La question de la valeur d'une œuvre ne peut être abordée sous cet angle exclusif. Ainsi Paul Ardenne a-t-il raison, évoquant le rapport qu'entretient le collectionneur avec une œuvre de prix, de mettre en avant d'autres points : “Collectionner (…) fait état d'une circulation symbolique, marchant à double sens, de qui présente l'œuvre d'art vers qui la possède, de qui possède vers qui a suscité son attention. La psychanalyse, là-dessus, fournit le terme commode de transnarcissisme, qu'on fera glisser pour la circonstance du périmètre de la psychologie à celui du monde de l'art, terme définissant au mieux le lien et le fonctionnement de l'échange entre collectionneur et système marchand-critique (et au-delà, structure institutionnelle) :
1°) Collectionner me désigne et me distingue, 2°) Le système de l'art me rend grâce de collectionner, ce fait de collection justifiant son existence et sa fonction de mise en valeur de l'art.”8… Dream, Dream…] On connait les noms de ceux que Nicolas Bourriaud rattache à ce qu'il appelle “l'esthétique relationnelle” : Philippe Parreno, Pierre Huyghe, Felix Gonzalez-Torrès, Rirkrit Tiravanija… [Le rapprochement avec Onfray exaspérera sans doute Bourriaud, lequel perçoit chez le philosophe “une vision classique de l'esthétique”, le faisant “tomber dans le contresens” quant à l'art contemporain.] La forme ressemble parfois pour certains à un courant d'air… Et pourquoi pas ?… Beaucoup ricanent, crient à l'escroquerie… Ridicule !… Et vain procès… C'est bien, non, les courants d'air ?… Ça rafraîchit… Mais il faut le dire, cette acception “relationnelle” n'est pas, ou ne devrait être, réductible à l'art relationnel selon les lecteurs hâtifs de Nicolas Bourriaud faisant leurs sa définition : “un art prenant pour horizon théorique la sphère des interactions humaines et son contexte social, plus que l'affirmation d'un espace symbolique et privé ”9. Elle inclut, certes, tous ceux qui utilisent des “procédés relationnels (invitations, castings, rencontres, espaces conviviaux, rendez-vous, etc.)”1, mais aussi ceux qui cherchent à entretenir avec le public une relation particulière (je songe par exemple aujourd'hui à quelqu'un comme Xavier Boussiron et ses Musiques de la carte du tendre). Autre registre ici : à la différence, me semble-t-il, des premiers, c'est moins la collaboration qui est recherchée qu'un certain état d'hébétude provoquée. La “relation”, dans le second cas, n'est pas idéa-lisée dans une sociabilité fictive, mais s'établit selon un principe de différenciation marquée… Ce qui veut dire ? Que l'artiste n'invente pas un moment privilégié de convivialité, mais propose, au contraire, dans l'événement public, une sorte d'énigme esthétique renvoyant, si l'on peut dire, chacun dans son camp, artiste et spectateur…
Peut-on alors encore parler de “relation vécue” ?
Si l'on s'en tient bêtement à l'idée d'appropriation réciproque dans l'échange [Ce que ne fait d'ailleurs pas Nicolas Bourriaud dont le concept d'“esthétique relationnelle” a été souvent très simplifié, ni les artistes les plus cités par lui, dont les œuvres sont fort heureusement plus complexes], probablement non, mais si l'on se place dans la perspective d'un art problématique, scandaleux1, voire idiot (au sens donné par Clément Rosset : simple, particulier, unique de son espèce), il y a bien “relation vécue” située dans un temps et un espace précis (il en allait ainsi dans les happenings ou dans les events Fluxus, et il en va aujourd'hui, dans une certaine mesure, dans les performances, en tout cas celles ne cédant pas au spectaculaire scénique)… Comment, en effet, un art véritablement “relationnel” pourrait-il éviter le malaise, les conflits, les réactions vives, et même violentes, le doute, l'échec, la bêtise, la honte, les dérapages comportementaux qui sont le lot quotidien de tout un chacun, et imprègnent les relations humaines ? La “réconciliation entre l'art et la vie”, telle que la perçoit Habermas, est une chose, le consensus une autre. Tous les vécus se ressemblent, mais à chacun ses manies, ses croyances, ses vices, ses angoisses, ses petites habitudes, ses faillites internes et ses menus exploits. À chacun son génie, comme dirait Robert Filliou… Lui, on le sait, a imaginé harmoniser ces différences à travers ce qu'il a appelé le “Vrai Taux d'Échange”, constatant : “Nous avons tous les mêmes différences et c'est cela précisément que nous avons en commun. Je propose donc d'appeler cet échange, fondé sur nos différences, le V.T.E. (Vrai Taux d'Échange). Pour arriver au niveau optimal de la société, il faudrait une situation où la différence de l'autre égale zéro.” Mais cela a-t-il un sens lorsque c'est justement le statut social qui définit d'abord l'individu (l'interchangeabilité, en somme) avant ce qui le constitue réellement ?… Huiler les rouages relationnels pour mieux servir le système en place (le clonage mimétique) n'est pas mon affaire : je préfère de loin le mauvais goût de l'inconvenance à la recherche d'une illusoire confraternité. Tout le monde il est pas beau, tout le monde il est pas gentil…

 

Je troque donc je suis
Quid de la rêverie, alors ?
Eh bien, on la retrouve dans l'affirmation de Soi (je ne parle pas seulement des artistes ou des personnes publiques, mais de tout le monde, bien sûr) [Relire Foucault (L'Usage des plaisirs, Le Souci de soi, tomes II et III de l'Histoire de la sexualité, Gallimard, Paris, 1984) sur le sujet. Et Deleuze et Guattari (L'Anti-Œdipe, Mille plateaux, Minuit, Paris, 1972, 1980)]. Celle-ci ne passe naturellement pas par une adhésion identitaire crétine (du genre “jeune”, “femme”, “gay”, “ethnique”, “religieuse”, “nationale” et autres fadaises…), mais par une souveraineté individuelle bien comprise… [“La valorisation excessive des différences culturelles se dit aussi “différencialisme”, euphémisme du mot “racisme”, et c'est l'extrême droite qui en a construit le raisonnement : parce que nous serions tous différents, nous devrions le rester pour préserver notre “identité”, les “différences” étant par ailleurs irréductibles les unes aux autres, certaines différences étant supérieures en qualité aux autres”, affirme Maryse Souchard (Liberté, Égalité, Imaginez !, Seuil, Points-virgule, Paris 2001)… Elle a raison, mille fois raison Maryse Souchard, que je ne connais pas : le “différencialisme” est particulièrement stupide… À ceci près : 1°) a contrario, l'idée d'une Culture Unique a de quoi inquiéter, tout de même ; 2°) l'extrême droite n'est pas seule responsable des thèses “identitaires” excessives qui trouvent aussi, hélas, leurs racines – si j'ose dire – dans les mouvements de libérations des années 1970] L'inconscient n'est pas l'inconscience (disait qui, déjà ?).
Et Quid de l'économie ?
Celle qui dirige le monde, supranationale, est assimilable à un nouveau Dieu, et comme Dieu, invisible, impénétrable, indiscutable. C'est le point de vue d'Onfray ; je le partage pleinement (c'est pas le cas pour tout). Le plus élémentaire devoir consiste, me semble-t-il, à en contester la légitimité à décider de nos vies et de nos consciences. Dieu est mort depuis longtemps, et il ne nous manque pas ! Son remplaçant ne va tout de même pas nous faire le coup de l'intimidation terrorisante !… L'affirmation de Soi est une des voies de cette contestation…, et se contrefoutre des dogmes, une autre…
Compte tenu de l'emprise de ce Dieu, la chose n'est pas facile, mais c'est sans doute sur ce mode de résistance qu'il convient de réagir : être idiot. Sincèrement idiot. Ne rien comprendre à rien et affirmer n'importe quoi en méconnaissance de cause. Ne jamais être constructif. Valoriser l'incompétence, le toc, la lenteur du Service Public. Gâcher les occasions de paraître intelligent. Disposer des jetons sur toutes les cases des tapis verts de casino. Considérer le concours Lépine comme une institution majeure et l'almanach Vermot comme un ouvrage de référence. Entreprendre sérieusement de coter en bourse les siennes. Devenir producteur de vidéos pornographiques et rémunérer les acteurs en leur poids de charcuterie rose. Déposer des brevets à usage discutable (le thermoformage des glaçons, par exemple). Ou proposer le troc comme stade suprême de l'échange et de la créativité…
Le troc ?
Oui, le troc… Voilà une forme d'idiotie économique sympathique : la Ferrari de Bertrand Lavier (celui qui dit : “le seul vrai prix d'une œuvre d'art contemporain, c'est ce que quelqu'un est capable de donner pour l'acquérir”) contre un Carambar, un string en soie des Indes de Diana contre un diadème de perles de la Reine Victoria, une chèvre contre un chou, le yin contre le yang, une anode contre une cathode, l'œuvre complète de Balzac contre le sourire de Jean-Pierre Foucault, Elvis contre Elvis… Tope là !… Le troc est certainement le plus court chemin de l'homme à la dialectique (Dalida ?). Quelques artistes, déjà, se sont risqués à élaborer des systèmes de troc artistique (Mathieu Laurette, Tsuneko Taniuchi ou Joël Hubaut1), mais il faudrait inventer une autre forme de troc… Ou plutôt, non. Retour à la case départ : revenir au troc de la cour de récréation. Échanger pour posséder. Etre prêt à tout pour obtenir ce qui est lorgné du coin de l'œil (petit soldat de plomb ou photo de pin-up à poil)… L'envie est un vice, dites-vous ? Pas celui-là… Car l'argent n'y a pas sa place. J'ajoute même : le troc ainsi pensé est une apologie du non monnayable, du non valorisable, sinon par le désir… Le troc amoureux, appelons-le ainsi, suppose une force de conviction rare. Ou de séduction… C'est quasiment un don. Une évaluation irrationnelle. Et un “défi”. Défi à soi. Défi à l'autre… L'attraction énigmatique vers un objet, qui, une fois échangé, ne compte plus, le dématérialise en quelque sorte. Dans le troc, seul l'échange importe, l'événement de l'échange. Le marchandage à qui-perd-gagne. La discussion… On est loin de la communication utilitaire, de l'égalitaire imposé, et des “rapports d'argent”, qui ne disent que ce qu'ils sont… Passez CAC 40, e.Business, start-up… Retour à l'homme… Je troque donc je suis !… Élémentaire, mon cher Engels, élémentaire, mon cher Marx…

 

 

1 Argent propre, argent sale. Y a-t-il nuance ? Pas sûr, quand on connaît les effets infreinables de la libéralisation de la finance sur l'économie mondiale. Propre ou sale, l'argent circule, et vite : “Montant financier du trafic des migrants clandestins dans le monde : 7 milliards de dollars par an (…) ; gain de l'industrie mondiale de la prostitution : 4 milliards de dollars ; trafic d'espèces animales protégées : 6 à 10 milliards de dollars ; trafics sur les matières dangereuses et les ressources naturelles protégées : de 22 à 31 milliards de dollars…” (Jean de Maillard, Le Marché fait sa loi, Mille et une nuits, Paris, 2001). Mais aussi : les mafias ont “investi de 4 à 7 milliards de dollars en Italie entre 1993 et 1995, grâce aux liens noués avec les mafias italiennes. En Israël, la mafia russe a investi, selon les informations de la police israélienne, jusqu'à 4,5 milliards de dollars depuis le début des années 1990. Sur les 17 milliards de dollars des réserves israéliennes en devises étrangères, 5 milliards proviennent de la mafia russe. (…) Le revenu annuel des yakusas (mafia japonaise) serait de 13 milliards de dollars.” (Jean de Maillard, op. cit.). Osons dire que la criminalité organisée n'est pas en cause (elle a toujours existé, ne nous surprend guère quant à son efficacité, et qui plus est, ce n'est pas mon affaire ici de la juger), mais il va de soi que sa présence crapoteuse est aujourd'hui évidente (et incontrôlable) partout où circulent massivement les capitaux, grâce aux dérégulations de l'économie mondiale.
2 L'idée et la formule ne sont pas inédites… Edward Barnays, fondateur de l'American Public Relations (et accessoirement neveu de Freud), exposait la thèse dès 1928 : “La manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions organisées des masses est un élément important dans une société démocratique. Ce mécanisme invisible de la société constitue un gouvernement invisible qui est le véritable pouvoir dirigeant…” (article Propaganda, cité par Gilles Châtelet, in Vivre et penser comme des porcs, Folio actuel, Gallimard, Paris, 1999).
3 “Les Échangistes des petits travaux”, Libération, 18-19 août 2001.
4 “Les Échangistes des petits travaux”, op. cit.
5 Cité par Claude Guillon, in Économie de la misère, Éditions La Digitale, Quimperlé, 1999.
6 Michel Onfray, Politique du rebelle, Grasset, Paris, 1997.
7 Arnaud Labelle-Rojoux, L'Art parodic', Java, Paris, 1996.
8 Paul Ardenne, L'Art dans son moment politique, La Lettre volée, Bruxelles, 1999.
9 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les Presses du réel, Dijon, 1998.
10 Esthétique relationnelle, op. cit.
11 Arnaud Labelle-Rojoux, Leçons de scandale, Yellow Now, Crisnée, 2000.
12 Il s'agit des C.L.O.M. TROKS, dépôts-ventes d'objets d'une couleur unique envisagés comme des sculptures interactives. Hubaut utilise, à propos de ce travail, le terme de “manœuvre” inventé par les artistes québécois liés à la revue Inter (Alain-Martin Richard, Richard Martel…) consistant à déplacer l'activité artistique hors des lieux réservés à l'art et impliquant de fait des publics étrangers aux problématiques de l'art. Les C.L.O.M. TROKS apparaissent comme une sorte de commerce d'objets “monocolores” recyclés, tournant en circuit fermé ; ils ne remettent pas fondamentalement en cause l'idée de valeur attribuée à une œuvre. Le C.L.O.M. TROKS en effet, quelle que soit sa dimension ludique, interactive, voire sociale, n'existe que dans son achat ou dans sa production par une institution. En ce qui concerne Mathieu Laurette, il s'agit davantage d'un jeu ironique sur l'échange pouvant évoquer le Maraboutdeficelledechevaldecourse… Une sorte de dérive objectale. Dans le cas de Tsuneko Taniuchi, le troc se fonde sur l'échange d'un objet confectionné par elle (mais non signé) avec n'importe quoi lui attribuant sa valeur, l'ensemble des échanges étant présentés dans un caddie circulant dans les zones de concentration de vendeurs de pacotille à la sauvette.

 

 


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TROUBLE 1, 2002

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